Ça sonne comme les paroles d'une chanson d'Alain Souchon ou Grand Corps Malade, vous ne trouvez pas ? J'aime beaucoup. Plein de poésie. Une phrase qui dégage beaucoup d'émotion aussi, de perspectives, de demains à venir. Mais peut-être cette phrase résonne-t-elle autant en moi parce que je connais son histoire...
Cette histoire que je tenais à vous raconter, c'est celle de Karine et Elina. L'une a donné la vie à l'autre il y a près de 18 ans. C'est l'histoire d'une mère et d'une fille comme il en existe des millions. C'est aussi l'histoire d'une mère qui, depuis qu'elle est mère, a fait de la différence son cheval de bataille. Et l'histoire d'une jeune fille qui se bat quant à elle pour maintenir ce fil à la fois résistant et si fragile qui la rattache à la vie.
Karine, je l'ai rencontrée il y a un an, à l'occasion d'une soirée d'échanges autour de la phobie scolaire. Elle est arrivée, pleine de vie et d'entrain, souriante et solaire. La soirée s'est déroulée et nous avons rapidement discuté. C'est là qu'elle m'apprit que sa fille était hospitalisée, que le pronostic vital était engagé. Et c'est à ce moment-là que j'ai commencé à essayer d'imaginer le tourbillon d'émotions qui devait se jouer en elle à cet instant, sans que l'on puisse s'en douter une demi-seconde.
Elle a pris mon numéro, m'a dit qu'elle me contacterait pour une conférence qu'elle comptait organiser sur la phobie scolaire d'ici quelque temps, et nous nous sommes quittées.
Puis nous nous sommes revues, quelques mois plus tard, pour cette fameuse conférence. Un succès du reste, magnifiquement orchestré par un duo d'animatrices de choc, dont faisait partie Karine. Là encore, j'étais bluffée par cette générosité, cette envie de partager, de sensibiliser, d'aider des familles, des jeunes, des professionnels de l'éducation, de la santé... à comprendre. Tout ça sans jamais parler d'elle ni de son histoire.
Alors j'ai voulu savoir, connaître leur histoire.
Je ne retracerai pas dans le détail le parcours scolaire - du combattant – d'Elina, mais en voici néanmoins les grandes lignes, celles qui ont écrit cette histoire atypique et hors du commun.
Une « lenteur d'escargot » expliquée par un diagnostic
Aujourd'hui nantaise, Karine, dans son ancienne vie parisienne, était un peu « Mme PAI » à l'école. Vous savez, le genre de mamans présentes sur tous les fronts, du matin jusqu'au soir, de la garderie jusqu'à l'école et bien plus encore !
Souffrant de multiples allergies alimentaires depuis son plus jeune âge, Elina n'a pas vraiment bénéficié des conditions idéales pour faire son entrée dans la cour des grands, en maternelle. La municipalité refusant d’allouer une personne supplémentaire pour surveiller sa prise de repas, elle ne pouvait déjeuner à la cantine. Ce n'est finalement qu'à partir de 8 ans qu'elle prendra ses repas avec ses camarades, « avec sa glacière, son plateau, ses couverts… ». Ambiance pique-nique à l'école donc, pour cause de PAI (Projet d'Accueil Individualisé) très lourd.
Entre-temps, en fin de CP, Karine et son mari réalisent qu’il se passe quelque chose au niveau scolaire. « Elina comprenait tout, avait une bonne mémoire, mais elle était jugée trop lente par la maîtresse, qui la traitait d’escargot et lui donnait des devoirs pendant la récré et le repas du midi. Elle rentrait le soir exténuée et peinait à faire ses devoirs, souvent presque en pleurs ». Un diagnostic révèlera qu'Elina est dyspraxique et dysgraphique, et viendra expliquer sa lenteur et ses difficultés.
Un accompagnement est mis en place pour l'aider à dépasser ces obstacles. Temps supplémentaire, moins de devoirs à rendre, interrogation de préférence à l’oral plutôt qu’à l’écrit. Puis un ordinateur fait son apparition à ses côtés lors de son entrée au collège.
Une enfance et une scolarité alourdies par ailleurs par une quantité pharaonique de suivis médicaux (allergologue, gastro-entérologue, ostéopathe, homéopathe, orthophoniste, psychomotricienne, ergothérapeute et psychologue), à faire pâlir d'envie n'importe quel hypocondriaque.
La famille déménage et s'installe à Nantes au moment de la 3ème, mais ce saut en avant prendra le visage d'un bond en arrière : le nouveau collège se trouve dans l'incapacité technique d’appliquer le PPS (Projet Personnalisé de Scolarisation). Un retour en arrière extrêmement difficile à vivre pour Elina qui se voit contrainte de ressortir ses cahiers, le tout dans une ambiance « élitiste », très orientée performance et compétition. Elle commence progressivement à perdre confiance en elle et à s’épuiser. L’année scolaire se termine par un confinement de trois mois particulièrement éprouvant, faute d'adaptation de la part de professeurs eux-mêmes totalement déboussolés face à la situation. Elle s'épuise littéralement.
On a commencé à comprendre qu’il y avait un réel problème
C'est en seconde que sa phobie scolaire se déclenche réellement. Le PPS est réintroduit, et avec lui l’ordinateur. Le lycée est très équipé numériquement, les professeurs avertis. Mais le rythme d’apprentissage est difficile à reprendre, la pression augmente, les arrêts intempestifs liés au COVID cassent le rythme de travail, l’élitisme de certains élèves est encore plus présent. Elina ne se sent pas à sa place. « Mais c'est la reprise des cours en classe entière, en mars 2021, qui marque le déclenchement. C'est à partir de là que l'on a commencé à comprendre qu’il y avait un réel problème ».
Perte d'appétit, de poids, troubles hormonaux : les problèmes de santé et la fatigue intense apparaissent. Karine et son mari pensent qu’elle souffre d’endométriose, « c’était l’arbre qui cachait la forêt, la dépression avait sans doute commencé son œuvre ».
Du lycée, elle n'en verra que peu de choses tant elle peine à y entrer, à le traverser, à en arpenter les couloirs et à prendre les escaliers seule. Ses amies sont rapidement appelées à la rescousse pour l'accompagner. Le corps continue pendant ce temps à s'exprimer, et Elina ne peut bientôt plus supporter le bruit d’une classe entière, se concentrer lui devient impossible. Elle est épuisée et décroche de plus en plus. Le diagnostic tombe une nouvelle fois : il s'agit d’hyper-acousie.
C'est alors une vie parallèle qui débute pour la jeune fille, loin de la vie rêvée d'une adolescente de son âge. Suivi en pédiatrie au CHU de Nantes, puis passage de relais à un pédopsychiatre spécialisé dans les TND (Troubles du Neuro Développement) exerçant en libéral. Entre temps, la perte de poids trop conséquente engage le pronostic vital d'Elina, qui est alors hospitalisée cinq semaines en pédiatrie. Un séjour très peu bénéfique, dont la fin sera marquée par une scarification exprimant le profond désarroi de la jeune femme.
Mue par un désir incandescent d'avancer coûte que coûte et malgré tout, elle fait sa rentrée de 1ère générale dans le même lycée, de manière sporadique, en essayant de garder le contact avec quelques amis et quelques profs. Jusqu'à ce que les symptômes et les crises d’angoisse reviennent au galop, l'empêchant de se rendre à l’école. « Elle ne dormait plus, ne mangeait que très peu et surtout peu de choses. Son activité cérébrale quasi nulle ne permettait plus aucun apprentissage. »
tant elle a donné pour s'adapter et compenser
Juillet 2022 : Karine et son mari tentent le tout pour le tout et organisent un voyage au Canada, dans la famille, pour essayer de la redynamiser, et surtout pour l'extraire de ce quotidien devenu si pesant.
Ils lui proposent ensuite une colonie sur le thème de la vidéo afin de créer un contexte propice à la rentrée qui se profile déjà. Une rentrée en 1ère professionnelle cette fois-ci, avec des aménagements mis en place dès le début. Les difficultés persistent cependant, Elina ne parvient pas à rester en classe plus d’une demi-heure. La décision est alors prise, en octobre 2022, d'abandonner la scolarisation. Un sujet devenu hors-sujet.
Une pause salutaire pour tous, et l'occasion de dresser un bilan. « Nous avons mis énormément de temps à accepter la phobie scolaire d’Elina, nous étions dans le déni le plus total. Elle disait qu’elle aimait son école, on se disait donc naturellement que cela ne venait pas de là. Après avoir effectué de multiples tests et écouté différents thérapeutes, nous avons compris rétrospectivement ce par quoi elle était passé. Et nous avec. Nous ne connaissions qu’un seul modèle, à savoir qu'un enfant est forcément un élève. Puisqu'elle est intelligente, qu'elle a des capacités, il ne s’agissait pour nous que de mettre en place des adaptations pour pallier ses troubles alimentaires et d’apprentissage. »
Nous nous y sommes employés avec force et conviction pour compenser tous ces petits « handicaps », ne voyant pas bien comment faire autrement, puisque assujettis nous-mêmes à cette pression sociale, celle qui pousse les personnes différentes à s’adapter aux autres et à la société. Mais la réalité est qu'aujourd’hui, ma fille n’a plus de force tant elle a donné pour s'adapter et compenser. Même le dessin, les mangas et le fait de se cosplayer*, tout ce qui l’animait avant, est devenu trop énergivore pour elle. Une adaptation permanente au prix de tant d’efforts qu’elle en a perdu son essence, son identité, son incarnation
« Nous avons cherché à la protéger le plus possible, car nous l’aimons de tout notre cœur, elle est le centre de notre vie, un peu trop sans doute. J’ai aussi voulu lui donner tout ce que je n’ai pas eu dans mon enfance, à commencer par la sécurité affective. Aujourd'hui, nous sommes arrivés là où nous appréhendions d’aller je pense. La dépression est venue nous dire « Stop ! Il faut penser et agir autrement ! », sans doute pour le plus grand bien de tous. »
Aux portes de l'âge adulte, Elina ne parvient plus à trouver de sens à tout cela : se lever le matin, aller au lycée, manger. Elle survit. Et même si le dialogue est rompu avec ses parents, en dépit des thérapies familiales, le lien d'amour est quant à lui indéfectible et d'une force insoupçonnable.
la force et l’énergie de renaître à elle-même
En attente d'une hospitalisation en pédopsychiatrie, Elina est pour l’instant « entre deux mondes. Quand elle aura tout remis en place et qu’elle aura trouvé la force et l’énergie de renaître à elle-même, nous pourrons à ce moment-là contempler ensemble le champs des possibles. Nous serons alors tous les trois profondément transformés. En attendant, nous faisons confiance à la vie... ».
La route sera encore longue. Ils le savent. Mais la lumière ne les a jamais abandonnés pour autant. Des hauts, des bas, évidemment, c'est leur lot quotidien. Des bas qui durent et semblent s'éterniser, des hauts qui paraissent ne plus jamais vouloir se manifester. Des liens si ténus qu'ils donnent parfois l'impression d'avoir disparu.
Mais au bout du compte, à la fin de l'histoire, seule une chose demeure : l'amour inconditionnel et sans limite de parents pour leur enfant. Et l'histoire unique comme il en existe des millions d'un amour vibrant d'une mère pour sa fille.
*Jouer le rôle d'un personnage de fiction en imitant son style vestimentaire, sa coiffure et son maquillage.
Pour aller plus loin sur la phobie scolaire
Rapport de l'INSERM du 02/01/2023.
Passiflora : une appli pour accompagner les jeunes en phobie scolaire et leurs parents.
Phobie scolaire : mon enfant n'arrive plus à aller à l'école ! récits de familles et éclairages de professionnels pour comprendre la phobie scolaire.
Solaires,oui ! quelle force de vie pour continuer à trouver le remède, re-m'aide...
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